1968-labolitiondelart-couverture-illustrations_227dpi.jpg

L’abolition de l’art,
ill. Roberto Matta, Daniel Pommereulle,
(1968)

« Comment une manière a-t-elle pu devenir l’objet d’un culte ? ». Dans cet essai critique composé en 1967, quelques mois avant les événements de Mai 68, Jouffroy dénonce certaines méthodes marchandes et les structures institutionnelles qui ont pour effet de réduire l’art en produit culturel détaché de sa vérité profonde, comme de sa véritable essence. Cette formule de L’Abolition de l’art renvoie à l’injonction célèbre de Breton et Tzara en 1919 : « Il faut tuer l’art ! ». Pour autant, elle n’exige pas la destruction de toute création artistique, préférant porter l’accent sur le nécessaire dépassement de ses genres et catégories traditionnels pour mieux réintégrer l’art à la vie. Rétrospectivement, L’Abolition de l’art semble avoir été la réponse personnelle du poète au dépassement situationniste de l’art qui, à la même époque, en appelait à sa dissolution radicale pour atteindre à une construction libre de la vie. « C’est au moment où, devant une œuvre nous oublions qu’elle relève de l’art, au moment où la méthode d’exécution suscite dans le spectateur, une méthode de méditation - une série d’actes organisés par la pensée - que nous sommes confrontés vraiment avec nous-même, avec le feu. C’est ce basculement que j’appelle L’Abolition de l’art. » (Alain Jouffroy.) Admettre la pratique artistique tout en dénonçant « l’idée policière » de l’Art, finalement revient à transgresser la notion d’art par les moyens mêmes de l’art. Y parvenir implique de facto cette nécessaire révolution du regard que Jouffroy appelait de ses voeux quatre ans plus tôt en déclarant que ce n’est plus le statut d’œuvre d’art qui devient signifiant pour un regardeur, non plus sa neutralisation par la marchandisation de ses formes d’expression, mais « la réalité de ce que l’on voit ». Réimprimé en 2011 aux éditions Impeccables sous la houlette de Christophe Béguin, L’Abolition de l’art est augmenté d’une préface éclairante de Pablo Duràn, « L’avènement de la justice » qui montre comment ce concept de L’Abolition de l’art a débordé la seule question de l’art pour s’élargir à toute l’aventure moderne. Cette édition aux Impeccables propose également le DVD du film éponyme réalisé entre février et mars 1968 par Alain Jouffroy avec l’aide de Pierre-André Boutang. Ce court-métrage (15 minutes.) emprunte certains aspects de sa technique au ciné-roman d’un Chris Marker. Plusieurs de ses plans-séquences dévoilent au spectateur les épreuves du livre en cours et les plans des objets d’Urgences de Daniel Pommereulle reproduits en noir et en hors-texte dans ce volume.