Introduction

« Être le poème et ne pas se borner à le lire. » 
Alain Jouffroy
1928

Alain Jouffroy naît le 11 septembre 1928, à Paris, près du parc Montsouris. Il est le fils de Charles Jouffroy et d’Inès Martin des Pallières.

1934

À six ans, il prend conscience du pouvoir des mots et des images en feuilletant les journaux dont la lecture lui est interdite. La photographie en « une » du cadavre de l’escroc financier Alexandre Stavisky frappe l’imaginaire du jeune enfant.

1936

Le jeune Jouffroy découvre en observateur fasciné la réalité concrète de la guerre civile et de la Révolution espagnole à Zarauz et à San Sebastian lors de vacances en Espagne.

1937

Sa tante maternelle, Jeanne des Pallières, est la maîtresse de Sedov Trotsky, troisième fils de Léon Trotsky. Sedov meurt assassiné et Sieva son fils est adopté par Jeanne. Sieva et Alain deviennent des camarades de jeux. Comme pour beaucoup de ses contemporains, en cette fin des années 1930 l’arrière-plan de l’enfance et de l’adolescence du poète est politique.

1940

En mai, quitte Paris avec sa mère et son frère à la recherche de son père, replié au sein de l’armée française en déroute dans le centre de la France.

1942

Sur les routes de l’exode avec sa mère et son frère. La famille se réfugie en zone libre à Salins-les-Bains (Jura). Durant l’Occupation, il peint à la gouache sur carton les paysages de Franche-Comté dont le lieu-dit Le Bout du Monde. Jouffroy découvre le vin jaune, le rosé d’Arbois, et dans la bibliothèque municipale les œuvres de Jean-Jacques Rousseau, Marcel Proust et Rainer Maria Rilke.

1944

Retour à Paris dans les camions de l’armée de De Lattre de Tassigny qui font route vers la Capitale. Passe le baccalauréat au lycée Montaigne. Son professeur André Michel lui fait découvrir la poésie de Paul Éluard et de Louis Aragon, la peinture de Picasso, la littérature américaine de Faulkner, Hemingway et Dos Passos. Au cours de cette période, il se lie d’amitié avec le poète Jean-Dominique Rey. Elle perdurera jusqu’à leur mort.

1945

À la libération, son père, avocat, est incarcéré en prison pour ses prises de position publiques passées en faveur de la Collaboration. Il en ressort un an plus tard.

Auteur d’une œuvre considérable, de près de deux cents livres, Alain Jouffroy (1928–2015) est un poète, romancier, essayiste, critique d’art comptant parmi les figures-phares de son temps. Ses écrits et explorations diverses, menés à la croisée des avant-gardes du XXe siècle sont devenus indispensables aux débats toujours actuels qui prennent pour enjeu les finalités de l’art et l’expérience vécue de la poésie conjoints à la liberté de l’individu.

Lu par plusieurs générations de lecteurs, Alain Jouffroy a signifié son époque d’une façon singulière à laquelle renvoie son concept d’individualisme révolutionnaire et sa pratique concrète de la poésie vécue, deux souffles d’hygiène mentale dont rend compte son autobiographie Le Roman vécu.

Une grande part de son travail d’auteur, réalisé en complicité avec de nombreux poètes et artistes de la modernité, fait également d’Alain Jouffroy un personnage-clé du dialogue existant entre art et littérature. Son souci d’ouverture, sa générosité à se tenir au plus près des créateurs, invités par lui à se reconnaître mutuellement dans un échange renouvelé d’idées et de pratiques, reste à ce jour sans beaucoup d’équivalents.

Sa trajectoire de poète rétif à toute assignation, porté par un volontarisme et une énergie impressionnante dans la chronique de son époque, aujourd’hui encore demeure inspirante. Nous pouvons la décliner en huit grandes périodes, la première débutant au sortir de l’adolescence.

1946–1948

L’entrée
en surréalisme

1946

Au cours de l’été, rencontre déterminante du jeune Jouffroy avec André Breton au Grand hôtel d’Angleterre de Huelgoat (Bretagne).

Rencontre fortuite mais décisive avec André Breton, à l’été 1946, au Grand Hôtel d’Angleterre à Huelgoat dans le Finistère. Correspondance amicale avec André Breton dans laquelle Alain Jouffroy affirme se reconnaître en adéquation complète avec les principes fondateurs et les exigences du mouvement surréaliste.

Premières réunions au café de la Place Blanche à Paris. Alain Jouffroy devient membre du mouvement surréaliste constitué alors de la génération de poètes et artistes d’avant-guerre parmi lesquels Benjamin Péret, Max Ernst, Victor Brauner; et d’une jeune garde composée de Stanislas Rodanski, Jean-Dominique Rey, Sarane Alexandrian et Claude Tarnaud.

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Alain Jouffroy à la Malmaison, septembre 1946
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Alain Jouffroy (à gauche) et Jean-Dominique Rey
en septembre 1946 à La Malmaison

1948–1951

L’épreuve de la déréliction

1948

Premiers poèmes d’Aube à l’antipode publiés à la demande d’André Breton dans la revue surréaliste Néon. Suite à son refus de voter l’exclusion du peintre Matta, Jouffroy est exclu lui-même du groupe surréaliste avec la « fraction constituée » de Claude Tarnaud, Stanislas Rodanski Jean-Dominique Rey, Sarane Alexandrian et Victor Brauner. Période de misère matérielle. Erre sans but dans les rues de Paris en compagnie du poète Stan Rodanski. Rencontre Julien Gracq et Francis Picabia. Rend régulièrement visite à Jean Hélion dans son atelier, se lie d’amitié avec lui, puis avec Victor Brauner et Marcel Broodthaers. Amour naissant avec la journaliste et critique d’art Luce Hoctin.

1949

Rencontre déterminante avec Henri Michaux à la galerie du Dragon de Nina Dausset, début d’une longue amitié entre les deux hommes.

1950-1951

Le poète fréquente assidûment la Cinémathèque française, développe un intérêt passionné pour le cinéma de Von Stroheim (Folies de femmes), Josef Von Sternberg (Shanghai Gesture) et d’Albert Lewin (Pandora). Christian Zervos des Cahiers d’art lui propose d’écrire sur les peintres Victor Brauner et Roberto Matta dans les pages de sa revue.

Le 8 novembre 1948, le groupe surréaliste remercie sa jeunesse. Alain Jouffroy, Stanislas Rodanski, Jean-Dominique Rey, Sarane Alexandrian, Claude Tarnaud sont exclus pour « fraction constituée » et « ignominie morale ». Le groupe dissident animait alors la revue Néon. Quelques temps auparavant, Alain Jouffroy était également renvoyé du domicile familial. Opposé à la vocation poétique de son fils, le père de Jouffroy somme ce dernier de choisir entre la porte ou un engagement dans les paras en Indochine. Période de grande précarité matérielle et de fragilité mentale. Dérives hallucinées dans les rues de Paris aux côtés du poète Stanislas Rodanski (cf. Le Temps d'un livre).

Le jeune Jouffroy assimile l’écriture poétique à « un suicide », à « la sublimation d’un crime rendu infiniment renouvelable et perfectible ». Manuscrits tout en déambulant dans le Paris exténué de l’après-guerre, les premiers poèmes d’Aube à l’antipode portent l’empreinte de ce théâtre intérieur mortuaire. Bientôt, la fréquentation de Victor Brauner, Jean Hélion, Francis Picabia, Henri Michaux lui fait prendre conscience du caractère salutaire de son exclusion. Autre éclaircie majeure, de retour de son service militaire à Strasbourg, Jouffroy rencontre Luce Hoctin, jeune et brillante critique d’art, licenciée en philosophie. Ils s’éprennent l’un de l’autre et filent un amour bohème dans leur petite chambre de la rue de la Pompe. Là, le couple reçoit les visites du compositeur Maurice le Roux, de la mathématicienne Paulette Destouches-Février, des jeunes poètes Paul Celan, Henri Pichette, Max Clarac-Sérou, Edouard Glissant, Charles Duits…

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Couverture du numéro 2 de la revue Néon (1948), dans lequel
ont été publiés les premiers poèmes d'Alain Jouffroy, Carnets de bord.
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Alain Jouffroy photographié par Luce Hoctin
en mars 1949, au 4 rue du Dragon à Paris
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Dans l’atelier du douanier Rousseau rue Perrel à Paris,
alors occupé par Victor Brauner, juin 1951.
De gauche à droite : Francis Bouvet, Sarane Alexandrian, Alain Jouffroy,
Luce Hoctin, Jean-Dominique Rey, Jacqueline et Victor Brauner.

1952-1958

Renaissance italienne

1952

Matta l’invite à Rome. Découverte de Rome, Venise et l’Italie. Jouffroy s’éblouit d’opéras, entreprend en autodidacte passionné l’étude de la peinture et de l’architecture de la Renaissance. Séjours à Sienne, Florence, Arezzo. Matta lui est un « ouvreur de destin ». René Char décèle en lui un poète de première grandeur et le fait publier dans la revue italienne Botteghe Oscure.

1953

Sous la recommandation de Dora Maar, collabore jusqu’en 1962 dans Arts-Spectacles et Connaissance des Arts, dans un premier temps de manière anonyme puis sous son patronyme. Premiers écrits sur Hans Hartung, Maria-Helena Viera da Silva, Jérôme Bosch. Sur l’insistance de Michaux, ses premiers poèmes paraissent dans la revue naissante Les Lettres nouvelles.

1954

Jouffroy épouse l’artiste autrichienne Manina Tischler-Thoeren rencontrée à Venise. Ils partageront leur vie entre Venise et Paris jusqu’en 1959. Se réconcilie une première fois avec André Breton mais refuse de rejoindre le mouvement surréaliste et de participer à ses activités. Rencontre Hundertwasser. Amitié naissante avec Max Ernst et Dorothea Tanning. Publie son premier recueil, Attulima aux éditions La Balance (Paris) qui impressionne favorablement Henri Michaux. « Attulima, une folie verbale, est une résurgence de Gene Tierney, la patronne de la maison de jeu de Mother Gin Sling dans Shangaï Gesture. » (Alain Jouffroy in Le Fantôme de l’art). Le grand critique d’art Robert Lebel lui fait rencontrer Marcel Duchamp à Paris.

1955

Publie aux éditions du Dragon (Paris), Les Quatre Saisons d’une âme illustré par des gravures de Manina. Rencontre Alain Robbe-Grillet et Michel Butor, figures emblématiques du Nouveau-Roman.

1956

Collabore au journal Combat. Rencontre le peintre Erró à Venise et Joan Miró à Paris.

1957

Séjourne en Grèce chez le poète Nanos Valaoritis, rencontre le sculpteur Brancusi et les peintres Roberto Crippa et Scanavino en Italie.

1958

Rencontre les artistes japonais Imaï, Domoto, Sugaï et Tabushi. Amitié naissante avec le poète François Dufrêne et l’artiste Raymond Hains. Publie un essai sur Hans Bellmer aux éditions William and Noma Copley Foundation (Chicago, USA).

Alain Jouffroy découvre Rome et l’Italie en 1952 à l’invitation de Roberto Matta. Jusqu’en 1958, il séjourne alternativement entre Venise et Paris. Ce dépaysement sensible, qualifié par le poète de « métamorphose de son être entier », s’alimente de la joie de vivre impénitente de Matta, des plaisirs de la vie romaine, de l’intelligence précise et déliée des femmes italiennes. Son coup de foudre amoureux pour Manina, artiste autrichienne vivant à Venise, sa découverte éblouie de l’opéra italien, opèrent un charme ineffable sur le jeune homme qui apprend également à lire la peinture au contact de Matta et des œuvres de quelques grands maîtres de la Renaissance. Jouffroy vit sa période « stendhalienne » sensualiste et passionnée qui l’incline à l’égotisme. « On ne me coupera jamais de l’Italie (…) Elle a été mon ouverture personnelle à la beauté de la vie. »

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1954, Alain Jouffroy et Manina au jardin du Palais Royal à Paris.
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Epreuves de la couverture d'Attulima, 1954.

Au cours de cette période amoureuse, il publie Attulima, les quatre saisons d’une âme illustré par Matta. Revivifié, ses débuts dans la critique d’art sont prometteurs, soutenu en cela par Jean Hélion, Luce Hoctin, Dora Maar, Albert Gilou, Christian et Yvonne Zervos qui lui reconnaissent un talent évident. Il épouse Manina en 1954 et rencontre Marcel Duchamp au cours de cette même année. Par ailleurs, il fréquente régulièrement Henri Michaux. Entre les deux hommes, l’amitié se renforce et une connivence de fond s’installe. Ils se confient leurs écrits respectifs, les commentent, les annotent, en corrigent les épreuves au besoin. Cette période solaire, celle d’un réel vécu à l’état pur compte parmi les plus heureuses de la vie de Jouffroy.

1959-1968

Une traversée des avant-gardes

1959

Amitié naissante avec Yves Klein. Publie Victor Brauner aux éditions G. Fall. Suicide de son ami, le poète Jean-Pierre Duprey. Réconciliation entre Breton et Jouffroy lors de l’exposition internationale du surréalisme EROS à la galerie Daniel Cordier. Traduit pour l’éditeur et galeriste Arturo Schwarz La Terre incomparable de Salvatore Quasimodo.

1960

Le viol suivi de l’assassinat aux États-Unis de sa belle-fille Nina Thoeren le marque douloureusement. Jouffroy et sa femme Manina demandent au président de la Cour que le meurtrier, un Afro-américain colporteur de bibles, ne soit pas condamné à la peine capitale. Co-organise avec Jean-Jacques Lebel les manifestations de l’Anti-procès à Paris, Venise et Milan (défense de la liberté d’expression, abolition de tout jugement moral, refus du colonialisme français).
Son premier récit, Le Mur de la vie privée (Grasset, Paris), préfacé par Max-Pol Fouchet, reçoit le prix Combat. Rencontre Martial Raysse chez Yves Klein, boulevard Montparnasse à Paris.

1961

Séjour hivernal à New-York avec sa compagne et future épouse Laetitia Ney d’Elchingen, rencontrée l’année précédant son divorce d’avec Manina. Sur la recommandation de Marcel Duchamp son hôte, il rencontre Jasper Johns et Robert Rauschenberg, puis Jim Dine, James Rosenquist, Andy Warhol et Roy Lichtenstein. À New-York toujours, retrouve Allen Ginsberg, William Burroughs et Gregory Corso fréquentés auparavant à Paris. Lawrence Ferlinghetti publie sa Déclaration d’Indépendance aux éditions City Lights Books de San Francisco. Jouffroy en fait une lecture publique au Living Theater de New-York en compagnie de Ginsberg et de Corso. De retour en France, il fait connaître au public parisien les artistes du Pop Art américain et les poètes de la Beat Generation dont il préface l’anthologie qui paraîtra en 1965.

1962

Devient critique littéraire au magazine L’Express, le restera jusqu’en 1968. Rencontre l’artiste Daniel Pommereulle, début d’une très longue amitié. Organise avec le critique d’art Robert Lebel l’exposition « Collages et Objets » à Paris, réunissant les artistes du Pop Art américain et ceux de l’avant-garde européenne. Victor Brauner illustre ses poèmes du recueil Tir à l’arc et Lucio Fontana ceux de L’Épée dans l’eau.

1963

Publie son premier roman Un rêve plus long que la nuit. Voyage à Cuba pour les célébrations populaires du 1er Mai. Il il retrouve le peintre Wifredo Lam. Conférence à La Havane sur la peinture américaine et européenne.

1964

Rassemble ses écrits sur l’art moderne dans Une Révolution du regard (Gallimard, Paris). Refuse les propositions insistantes de Jean-Edern Hallier qui désire le voir siéger au comité de rédaction de la revue Tel Quel.

1965

Lance le mouvement des Objecteurs comprenant les artistes Arman, Jean-Pierre Raynaud, Daniel Spoerri, Tetsumi Kudo et Daniel Pommereulle. Publie La question S aux éditions Phantomas à Bruxelles. Fréquente régulièrement la poétesse Joyce Mansour. Rencontre et premiers échanges avec Philippe Sollers. Assiste en compagnie de Serge Rezvani au tournage de Pierrot le Fou de J.-L Godard. L’éditeur Claude Gallimard lui confie la responsabilité de la collection Poésie/Gallimard en tandem avec Robert Carlier. Jouffroy y préfacera les anthologies de Breton, Artaud, Leiris et Aragon. Réconciliation avec André Breton. Il convole en justes noces avec Laetitia Ney d’Elchingen.

1966

Son poème Aube à l’antipode est illustré par René Magritte (éditions du Soleil Noir, Paris). Publication de son deuxième roman, Le Temps d’un livre. Séjour estival dans le Finistère en compagnie d’André Breton et de Joyce Mansour. Durant l’été, Alain Jouffroy joue son propre rôle pour le film La Collectionneuse d’Éric Rohmer. En septembre, rend une ultime visite à André Breton à Saint-Cirq-Lapopie (Lot). Le 28 septembre, assiste aux funérailles d’André Breton en compagnie de Joyce Mansour, Wifredo Lam, Michel Leiris et Marcel Duchamp. Son grand poème-hommage à Breton, L’Antichambre de la Nature, est illustré par Wifredo Lam (Albert Loeb éditions). Divorce d’avec Laetitia Ney d’Elchingen. Jouffroy rencontre Louis Aragon après avoir entendu la figure du PCF défendre publiquement « toute licence en art » au congrès d’Argenteuil de 1966. Premiers échanges avec le poète stalinien repenti, marqués par le désir de mieux saisir et renouer en lui les fils déchirés du surréalisme. « Aragon avec lequel j’ai eu des conversations interminables, ne croyait pas plus à l’Art que moi. Mais il croyait, comme moi, à la peinture, au dessin, aux collages, aux assemblages, au pouvoir sensible et intellectuel de toutes les formes d’expression. En somme, il croyait aux individus réels, comme aux choses qu’ils faisaient et vivaient. » (Alain Jouffroy in Le Fantôme de l’art) Jouffroy dirige le n° 0 d’Apparatus, revue bruxelloise dont le sommaire réunit une impressionnante variété d’auteurs et de poètes du monde entier.

1967

Il publie Trajectoire (récit récitatif, Gallimard, Paris) et co-fonde avec Gérard Gassiot-Talabot et Jean-Clarence Lambert la revue d’art Opus International et défend dans ses pages un grand nombre de jeunes artistes de la scène européenne, en particulier ceux issus du courant de la Figuration narrative. Collabore amicalement avec le cinéaste Jean-Luc Godard au scénario de La Chinoise, en écrit le texte de présentation à la presse. Commence l’étude de l’histoire de la Révolution française, du Directoire, du Consulat de Bonaparte et de l’Empire, du point de vue du développement des arts, et la poursuit pendant environ dix ans. Préface la réédition des Champs magnétiques d’André Breton et de Philippe Soupault chez Gallimard. En juillet, séjourne à Cuba à l’invitation de Wifredo Lam, participe au grand mural collectif « Cuba Colectiva », œuvre en spirale totale, coréalisée par une centaine d’artistes et d’écrivains invités par le régime cubain.

1968

1968 voit la publication de L’Abolition de l’art composé l’année précédente et réalise le film éponyme produit par Claude Givaudan. Il s’implique en faveur de l’insurrection étudiante de mai 68. Suite de jours et nuits de fêtes, discussions et manifestations. Le 21 mai, co-fonde l’Union des écrivains avec Michel Butor, Nathalie Sarraute et Jean-Pierre Faye. Le 29 mai, manifeste aux côtés de Guillevic, Roubaud, Pleynet et Godard qui le présente au jeune peintre Gérard Fromanger. Entente immédiate entre le peintre et le poète, début d’une longue amitié jamais démentie. Avec Jean-Luc Godard et Éric Rohmer, Jouffroy réalise quelques ciné-tracts, puis tourne avec Philippe Garrel, face aux CRS, le film Actua I perdu puis retrouvé en 2014. Joue son propre rôle dans Détruisez-vous de Serge Bard. En juin, publie dans Opus international « Quatre manifestes pour un cinéma violent » signés par Serge Bard, Philippe Garrel, Daniel Pommereulle et Patrick Deval, tous membres du collectif Zanzibar. En juillet, séjourne en Algérie, y compose son « Discours sur le peu de révolution » édité en 1972. En août, suite à sa prise de parti pendant les événements de Mai, est remercié par le magazine L’Express et démissionne de son poste de directeur de collection chez Gallimard. Sur l’invitation de Louis Aragon, collabore aux Lettres Françaises. La jeune actrice roumaine Adriana Bodgan rencontrée en décembre devient sa compagne.

De 1968 à 1972, Louis Aragon lui ouvre les pages des Lettres Françaises. Alain Jouffroy fait découvrir aux lecteurs les peintres de la Figuration narrative, les jeunes poètes du Manifeste Électrique aux Paupières de Jupe et ceux du manifeste De la déception pure, Manifeste froid. Toutes les années 1970 le voient déployer une activité poétique et critique frénétique, considérable.

En décembre 1959, Jouffroy compose son poème-manifeste Déclaration d’indépendance aux accents déclamatoires et frondeurs. Le poète beat Lawrence Ferlinghetti le publie chez City Light Books à San Francisco. Jouffroy en fera une lecture publique deux ans plus tard au Living Theater de New-York en compagnie d’Allen Ginsberg et de Gregory Corso.

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Carton d'invitation pour la signature du recueil de poèmes
Déclaration d'indépendance publié par City Light Books, à la librairie anglaise,
rue de Seine à Paris, en 1961

En 1960, un désir se précise : faire de la littérature une arme, un moyen d’action sur le réel en pouvoir de lier l’imagination poétique et l’imagination politique. Écrire devient pour Jouffroy un acte de combat et de défense. S’ensuit une période de prise de parti tranchée qu’inaugure l’organisation, avec Jean-Jacques Lebel, des manifestations contestataires et anticoloniales de l’Anti-procès, à Paris, Venise et Milan. Elles exigent l’abolition du jugement moral, réclament une plus large liberté d’expression, et déclenchent l’hostilité jalouse du mouvement surréaliste qui éreinte l’Anti-procès dans un tract vengeur.

En 1960, la mort dramatique de la fille de Manina, Nina Thoeren, belle-fille d’Alain Jouffroy violée avant d’être assassinée aux États-Unis par un vendeur de bibles afro-américain, donne lieu au matin du 14 juillet, peu après la clôture des manifestations de l’Anti-procès, à une performance-hommage vénitienne organisée par Jean-Jacques Lebel : l’engloutissement dans les eaux du canal de la Giudecca d’une œuvre sculptée de Jean Tinguely désignée comme « La Chose ». Suite à ce drame, Manina et Alain Jouffroy demandent au procureur du tribunal de Los Angeles de ne pas prononcer de peine de mort contre l’auteur du crime, et par la suite, divorcent d’un commun accord.

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Affiches et textes préparatoires à l'Anti-procès. Archives de la critique d'art.

En 1960-1961, Jouffroy rencontre à New-York les figures emblématiques du Pop Art naissant, ainsi Bob Rauschenberg, Andy Warhol, Roy Lichtenstein dont il facilite l’introduction sur la scène de l’art parisienne.

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Partie d'échecs chez Marcel Duchamp, au 28 West 10th Street, New-York, 8 décembre 1961.
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1961, Alain Jouffroy et Jean-Jacques Lebel sur le paquebot Liberté en partance pour New-York.

Il fréquente Laetitia Ney d’Elchingen qu’il rencontre au café Le Nuage. Avec celle qui deviendra sa deuxième épouse, il rattrape un grand retard de joie : « Soudain une autre histoire commençait. Paris redevenait le centre de tout, la page vénitienne de ma vie était tournée. Je n’ai jamais dansé autant dans ma vie que pendant ces six années [1960-1966] où elle fut mon pôle. » (Le Roman vécu).

Côté art, grande complicité sensible et intellectuelle avec Yves Klein avec lequel le poète pratique le judo. À Paris, au légendaire Beat-Hôtel, Jouffroy se lie avec Allen Ginsberg et Gregory Corso. Par ailleurs, il déploie une grande effervescence sur le front de la critique d’art, publie des textes avertis et combatifs dans Arts, L’Œil, Connaissance des Arts et Combat. En 1963, le poète voyage à Cuba avec le peintre Wifredo Lam pour assister aux fêtes du 1er Mai à La Havane.

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Alain Jouffroy à l'hôtel Habana Libre Cuba, La Havane, 1963. 

En 1964, la publication remarquée d’Une Révolution du regard le hisse au rang des plumes critiques les plus éclairantes de son temps. Cette même année, il frôle la mort au cours de l’été, subit en urgence une opération de sept heures après une hémorragie de l’estomac. Premières tentatives de définition de l’individualisme révolutionnaire. En 1965, il assiste au tournage de Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard, co-dirige dans le même temps la collection Poésie/Gallimard. En 1967, il co-anime la revue naissante Opus international avant de jouer son propre rôle de poète, critique et admirateur sincère de la Révolution française dans La Collectionneuse d’Éric Rohmer.

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1967, Daniel Pommereulle et Alain Jouffroy en conversation dans le prologue de La Collectionneuse d'Eric Rohmer

En 1967 toujours, il répond à l’invitation de La Havane où il retrouve Jean-Luc Godard, Michel Leiris, Joyce Mansour, Maurice Nadeau, Wifredo Lam. Le 17 juillet, il participe à la réalisation du Mural collectif de Cuba (case 83) coréalisé, d’après une idée d’Eduardo Arroyo, par une centaine d’artistes et écrivains du monde entier. « L’aventure la plus risquée, aujourd’hui, pour un homme, celle qui le fait communiquer le plus directement avec le plaisir et avec la mort, c’est de participer et de se dédier à la révolution. Sa chance et son audace les plus grandes, c’est de la faire. » De retour à Paris, Jouffroy rédige L’Abolition de l’Art et publie Trajectoire dont la trame d’écriture et la véhémence anticipent nerveusement l’atmosphère à venir de mai 1968.

En 1968, Jouffroy prend parti pour l’insurrection étudiante. En pleine guérilla culturelle, il est parmi les auteurs qui occupent l’Hôtel de Massa, siège de la Société des gens de lettres. Au cours de la même période, il fonde l’Union des écrivains avec Nathalie Sarraute, Michel Butor, Jean-Pierre Faye et Jacques Roubaud, geste qui aura pour conséquence de lui fermer les portes des grands journaux de l’intelligentsia parisienne. Avec Jean-Luc Godard et Éric Rohmer, Jouffroy réalise quelques ciné-tracts, puis filme en 35mm avec Philippe Garrel les émeutes étudiantes et les dispositifs policiers leur faisant face. Ce film, Actua I , qui retrouve la maîtrise plastique du groupe Dziga-Vertov, a longtemps été perdu avant d’être redécouvert en 2014 aux Archives françaises du Film.

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Jacques Roubaud, Alain Jouffroy et Jean-Luc Godard, boulevard Saint-Martin à Paris,
lors de la manifestation du mercredi 29 Mai 1968 organisée par la CGT. Photo : Jean-Claude Seine

« Actua I, le film que j’ai réalisé avec Philippe Garrel demeure sans doute ce que j’ai accompli politiquement de plus net entre mai et juin 1968. Nous nous sommes enfermés, Philippe et moi, pendant deux jours et deux nuits, sans dormir, pour visionner les rushes qui ont servi au montage définitif et pour éviter les interminables discussions qu’aurait provoquées la présence à nos côtés de tous ceux qui se découvraient brusquement une vocation de cinéastes révolutionnaires. Certains plans d’Actua I sont aussi beaux, aussi magiquement électrisés que les plus belles séquences du Napoléon d’Abel Gance : l’œil de Philippe Garrel fut tout dans cette beauté. » Fin 1968, régulièrement attablé à la Coupole en soirée, le visage de l’actrice roumaine Adriana Bodgan le subjugue quand elle passe devant sa table. La vie les fait se retrouver sur un quai de la gare de Lyon au soir de Noël 1968.

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Mars 1968, le collectif Zanzibar réuni au Festival du jeune cinéma d'Hyères. À gauche debout, Alain Jouffroy et Philippe Garrel. Parmi les autres membres présents : Daniel Pommereulle, Patrick Deval et Bernadette Lafont. Au premier rang, accroupis : Jackie Raynal et Matta, et tout à droite, Michel Fournier.

1969-1982

La société secrète de l’écriture

1969

Le poète Bernard Noël prend l’initiative d’une rencontre avec lui. Projet d’une société secrète de l’écriture fonctionnant à l’insu de ses propres membres. Rencontre à Paris Régis Debray dont il avait demandé publiquement la libération des geôles de Camiri en 1968. Publie à Turin le recueil de poèmes Libertés, illustré par Scanavino. Voyage en Roumanie avec Adriana Bogdan. Entre au comité directeur d’Opus International.

1970

Publie La Fin des alternances (Gallimard, Paris.) Polémique publique avec la revue Tel Quel au sujet des figures tutélaires de Breton et de Bataille, au sujet également de ce qui est interprété alors comme une tentative de réconciliation posthume entre Breton et Aragon à l’instigation de Jouffroy.

1971

Liberté des libertés, poème illustré par Joan Miró, est publié par François di Dio aux éditions du Soleil Noir. La même année, Jouffroy publie son roman L’Usage de la parole aux éditions Fayard. Publie Fromanger, boulevard des Italiens aux éditions Georges Fall et À Propos des accumulations de lumière de Sara Holt, dans le Catalogue Sara Holt du Musée d’art moderne de la ville de Paris.

1972

Publie L’Incurable retard des mots chez Jean-Jacques Pauvert. Séjourne avec Adriana Bodgan à New-York sur l’invitation de Dore Ashton. Conférences à la Cooper Union et dans les universités de New-York. Publie Le Congrès, illustré par Perahim. Accepte de diriger la prestigieuse revue XXe siècle à l’invitation de son mécène Gualtieri di San Lazzaro.

1973

Son essai, La séance est ouverte (éditions Visot) défend avec ferveur les jeunes poètes du Manifeste électrique et du Manifeste froid. Publie Les Anagrammes du corps sur des dessins de Hans Bellmer et préface les écrits de Bernard Réquichot aux éditions de la Connaissance. « Rauschenberg et la liberté d’indifférence » (in XXe siècle, n°40) « L’absolu d’Yves Klein » (in XXe siècle, n°41). Préface « Recalcati « la bohème de Chirico » » pour Antonio Recalcati, ( Galerie Mathias Fels, Paris).

1974

Création des Éditions étrangères avec Jean-Christophe Bailly, Serge Sautreau et Christian Bourgois. Jouffroy y publie Dégradation générale (poème) dans la « Collection froide ». Création de la revue Fin de siècle animée par J.-C. Bailly et S. Sautreau aux Éditions étrangères (Paris). Jouffroy y publie des extraits d’Éternité, zone tropicale. Le Septième chant, poème illustré par André Masson. Les Pré-voyants (essai, éditions de La Connaissance). Séjourne en Irlande où il compose Les 365 exils du lac Corrib que publient les Éditions étrangères. Préface « Double présentation de la peinture de Bona » pour le catalogue de Bona de Mandiargues (Galerie de Seine, Paris.). Jouffroy convole en justes noces avec Adriana Bodgan. Ils partent ensemble en Inde à l’invitation de Wifredo Lam puis au Népal. « La révolution est femme » (in XXe siècle, n°42)

1975

De l’individualisme révolutionnaire (essai) aux éditions 10/18. Préface Le nouveau Nouveau monde de Lam. Publie Matthieu Messagier : « Sanctifié » (Éditions étrangères & Ch. Bourgois (Paris). Son texte Fin de siècle accompagne les dessins originaux de Daniel Pommereulle que publient Pierre Nahon et Patrice Trigano après l’exposition éponyme. Dialogue avec Pontus Hulten : « Que sera le Centre Beaubourg ? » publié dans le n° 45 de XXe siècle. « Henri Michaux ou l’accélération mentale » (in XXe siècle, n°44).

1976

Jacques Monory illustre Éternité, zone tropicale (poème). Publie Max Ernst, Apprentissage, Énigme, Apologie en collaboration avec Jean-Christophe Bailly et Henri-Alexis Baatsch, ainsi que le poème Eau sous terre illustré des gravures de Manina. « Garrel et Godard, ciné-peintres de la solitude » (in XXe siècle, n° 47.), « Les Opéras glacés de Jacques Monory : une question posée à tous les pouvoirs », « Portrait en abîme d’Arakawa » et « Imaï, l’unique » (in XXe siècle, n° 46.)

1977

Le Gué (correspondance avec Philippe Sollers). Devient commissaire de l’exposition Guillotine et peinture : Topino Lebrun et ses amis présentée au nouveau Centre d’art moderne Georges-Pompidou à Paris. Jacques Hérold illustre son recueil de poèmes New-York aux éditions G. Fall (Paris). Rencontre Félix Guattari aux manifestations Tunix de Berlin, amitié naissante. Publie Mondino te king – Traité sur le principe et l’art de la vie d’un Roi Cul-de-jatte (Christian Bourgois éd. (Paris). « Larry Rivers, réinventeur de la peinture d’histoire » (in XXe siècle, n°49) Sur l’invitation du peintre Toshimitsu Imai, Jouffroy séjourne dix jours au Japon.

1978

Une Révolution du regard est traduite en japonais (éditions Shobun-sha (Tokyo). Sortie très remarquée, nominée pour les prix littéraires, de son roman autobiographique Le Roman vécu. Kaiho Hideo, directeur du magazine Ikebana Sogetsu lui commande des articles sur l’art contemporain européen. « Baruchello, navigateur en solitaire » (XXe siècle n° 50)

1979

François di Dio publie L’Ordre discontinu au Soleil Noir (Paris), illustré par Vladimir Vélickovic. Pour les éditions Bordas, Jouffroy publie Le monde est un tableau. Rencontre le poète Ōoka Makoto lors d’un nouveau séjour au Japon.

1980

Sortie de son roman L’indiscrétion faite à Charlotte, titre que Félix Guattari lui a soufflé à l’oreille. Publie Libre Venise (éd. Pierre Bordas & fils (Paris). Publie Jean Berthet, préface au Catalogue Jean Berthet, pour le C.A.C de Chelles.

1981

Prend parti pour François Mitterrand lors des élections présidentielles de mai. La revue XXe siècle s’arrête, faute de moyens. Nouveau séjour au Japon.

1982

Organise à la demande de Jack Lang l’exposition « Figurations révolutionnaires » au musée Bridgestone de Tokyo. Participe à l’exposition « Pavillon d’Europe » à Séoul, manifestation artistique à l’initiative des peintres Kang Myonghi et Yim Sétaik. Publie à cette occasion Nouvelle peinture d’histoire en France : Lettre-préface à tous les Coréens doués de vue, préface au catalogue Nouvelles Figurations en France, Galerie de Séoul & Paris. Les Miroirs métaphysiques de Matsutani, préface au catalogue Takesada Matsutani de la Kanako Art Gallery de Tokyo. Publie Narcopolis-Catacaméra, récit illustré par Jean Criton (éd. Pierre Bordas & fils (Paris). Publie Piero di Cosimo ou la forêt sacrilège (éd. Robert Laffont (Paris). Publie La Vie réinventée (éd. Robert Laffont) remarquable fresque historique sur la modernité des années 1920 à Paris, « sorte d’autobiographie polyphonique par personnes interposées ».

Après l’échec du printemps 68, s’ensuit une période d’effervescence théoriciste générale devant laquelle Jouffroy prend ses distances. Ses écrits ont à cœur de montrer qu’une œuvre d’art authentique résiste toujours à sa mise en coffre théorique ou rhétorique. Une querelle publique l’oppose à Philippe Sollers au sujet de la réinterprétation par la revue Tel Quel des figures tutélaires d’André Breton et de Georges Bataille. En refusant la main-mise des théories d’inspiration structuraliste ou marxiste-léniniste sur l’art et la poésie, Jouffroy s’avance à contre-courant des idéologies politiques de son temps, préférant aux militances cuirassées de mots d’ordre, les liens affectifs d’une communauté ouverte d’aventuriers de l’intuition : « Je ne serai jamais d’aucun parti et je ne parlerai jamais au nom d’une organisation, quelle que soit son idéologie. J’ai inventé une société secrète de l’écriture et j’ai dit qu’elle fonctionnait à l’insu de ses membres, parce que c’est le seul type d’organisations auxquelles, je puisse moi adhérer. » (La Société des doubles)

Durant cette période, Jouffroy défend plusieurs artistes issus du courant d’expression de la Figuration narrative, avec lesquels il nouera de solides liens d’amitié, ainsi Jacques Monory, Valerio Adami, Ôvyind Falhström, Leonardo Cremonini, Peter Klasen, Erró, Antonio Recalcati, Gérard Schlosser, Hervé Télémaque, Vladimir Vélickovic, et, fidèle d’entre les fidèles, Gérard Fromanger « passionné, inattendu et drôle […] chaleureux, spontané, malicieux, solidaire » que lui présenta Jean-Luc Godard à la faveur des événements de mai 1968.

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1971, Alain Jouffroy avec Adriana Bogdan à Bruxelles. Photo : Virginia Leirens

Au début de l’hiver 1969, voyage en voiture, jusqu’en Transylvanie avec Adriana Bogdan qui deviendra bientôt sa troisième épouse. 1972, Jouffroy publie L’Incurable retard des mots, suivi de Discours sur le peu de révolution, réunissant les textes qu’il a consacré à la défense d’une certaine poésie. Son essai virulent La séance est ouverte soutient contre la paresse intellectuelle et la censure de la critique, les jeunes poètes du Manifeste électrique aux paupières de jupe (1971) et ceux du Manifeste froid (1973). Jouffroy revendique la nécessité de réinventer à partir de zéro notre compréhension du monde : « Nous rêvons, nous marchons comme des somnambules vers un monde dont nous ne savons rien, où l’idée d’échec et l’idée de réussite deviendront elles-mêmes dérisoires » (XXe siècle, n°39, 1972).

En 1973, Adriana et lui fréquentent régulièrement les jeunes poètes du Manifeste froid Serge Sautreau et Jean-Christophe Bailly fondateurs des Éditions étrangères, Henri-Alexis Baatsch, le galeriste Claude Givaudan et l’artiste Piotr Kowalski. Jouffroy obtient la direction de la revue XXe siècle. Sous son impulsion, XXe siècle refuse le manichéisme politique de l’époque sommant l’intellectuel de prendre parti entre un art-fétiche liquidé dans le divertissement mondain et un art de propagande conditionné à la casuistique des partis de Révolution. La revue réaffirme l’idée de modernité comme l’aventure biographique, intime et collective d’individus créateurs non inféodés, et comme une quête dans laquelle l’artiste se retrouve entièrement dans les déterminations de son art. Sur cette lancée, Jouffroy publie Les Pré-voyants en 1974 et questionne l’unité illusoire de son moi, prolongeant l’exploration de ses contradictions pour défataliser la vie : « Je veux me contredire pour agrandir mes lendemains ».

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Juillet 1975 chez Piotr Kowalski à Montrouge. De gauche à droite : Marie-Claude Pouvesle, Jean-Christophe Bailly, Piotr Kowalski, Henri-Alexis Baatsch, Bibi, James Lee Byars, Eric Fabre, Sara Holt, Adriana Bogdan, Alain Jouffroy, Erro, Vilaï. Photo : Sara Holt

L’année suivante, il publie De l’individualisme-révolutionnaire, principe de vie en même temps que levier éthique définit comme « théorie et pratique du rôle révolutionnaire de chaque individu dans la vie de tous les individus ». Son espoir d’un changement radical de l’existence s’oppose a la doxa capitaliste comme aux idéologies collectivistes de son temps, maoïsme et stalinisme en particulier qui en appelaient à l’effacement de l’artiste au profit du prolétariat héroïque.

Son autobiographie, Le Roman vécu, publié en 1978, embrasse la totalité de ses vies multiples et revendique son rôle d’individu en proie à mille contradictions qu’il assume de vivre pleinement pour élargir son moi et faire advenir un individu plus libre qu’il ne l’est. Les romans de Jouffroy possèdent un caractère biographique manifeste ou implicite qui ont pour point commun de traduire la liberté non comme catégorie de l’esprit, mais comme expérience physique à vivre, et qui éprouve la force du réel. « La liberté ne s’hérite pas. On n’hérite pas du feu. La liberté est toujours à refaire, comme le feu. » (L’indiscrétion faite à Charlotte, 1982). 1982 est aussi l’année où XXe siècle sort son ultime numéro.

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Le Rendez-vous des amis 1976, chez F. Lanzenberg à Bruxelles : toile de Max Ernst (1922) détournée par Alain Jouffroy. Avec Alain Jouffroy à gauche, au piano. Adriana Bogdan, Kowalski, B. Dufour, Dufrêne, Adzac, Spoerri, Baruchello, Hains, Erró, Pommereule, Télémaque, Fromanger, Recalcati, Maselli, F. Lanzenberg, Segui, Dado, Velickovic, Stampfli, Takis, Monory, Cremonini.

1983-1994 

Géopoétique de l’Orient

1983-1985

Rupture progressive avec Adriana Bogdan. En janvier 1983, sur la recommandation de Régis Debray, François Mitterrand nomme Alain Jouffroy conseiller culturel auprès de l’ambassade de France au Japon.

1984

Publie Monory-Media : un des plus grands peintres du possible, préface au catalogue Monory de l’ Institut franco-japonais de Tokyo.

1985

Retour à Paris. Le poète accueille Philippe Sergeant, jeune et talentueux philosophe croisé en 1974, et qui prépare une monographie sur le poète : Alain Jouffroy, l’instant et les mots.

1985-1986

Alain Jouffroy organise les deux premiers sommets culturels franco-japonais, l’un à Tokyo, l’autre à Paris. Cette même année 1986, il épouse Fusako Hasae rencontrée deux ans plus tôt. Publie à Tokyo Tant qu’il y aura du vent, poèmes accompagnant les œuvres de Shiko Itoh. S’intéresse de près à la Banalyse, mouvement critique et expérimental créé par Pierre Bazantay et Yves Hélias. Publie La Treizième lettre (roman).
1986 : Publie La Maison de Cremonini, préface au catalogue Le Voyage du dialogue : Adami, Cremonini, Maselli, Peverelli, à Rome

1987

Séjourne à Rome chez son ami Gianfranco Baruchello. Publie Miró aux éditions Hazan, puis L’Espace du malentendu aux éditions Christian Bourgois. Ce dernier est traduit en allemand sous le titre Versehen. Le récit évoque son amitié avec le peintre Christian Bouillé et la fascination magnétique que suscite son œuvre peinte. Publie Laverdac : du devenir-lumière au devenir-nuit, préface au catalogue Paris 83 : Sophie Bernard, Michael Burdzelian, Colette Deblé, Michèle Laverdac de la Galerie Isy Brachot. Publie “L’Aigle, de et dans Jacques Hérold” pour le catalogue Herold (Galerie Patrice Trigano,Paris). Fonde sur les conseils de son ami Félix Guattari Le Club qui réunit entre autres membres Félix Guattari, Régis Debray, Olivier Le Bars, Serge Sautreau, Antoni Taulé, Christine Maillet, Jocelyne Quélo, Jacques Grué, Gérard Thalmann, Henri-Alexis Baatsch, Kaddhim J. Hassan, Gérard Fromanger.

1988

Fred Deux illustre son texte La Traversée (éd. Pierre Chave). Publie Passe, cavalier pour le catalogue Gérard Thalmann : peintures récentes 1986-1988 de la Galerie Pascal Gabert. Publie Ne pas se pencher en dehors, préface au catalogue Milos Sobaïc de la Galerie Jean à Paris. Préface le catalogue Frédéric Breck de la Galerie Bernard Jordan. Le caméléon et l’aveugle : préface au catalogue Chantal Petit de la Galerie Jean Briance.

1989

Eros déraciné (poèmes, Le Castor Astral). Organise pour le bicentenaire de la Révolution française l’exposition « Le Moment extrême : Sade, Révolution, Bara » que présente la galerie Claude Samuel à Paris. Publie Aimer David (éd. Terrain-vague/Losfeld (Paris). La Maison mentale de Jacques Grué, préface au catalogue Des Objets de Jacques Grué pour la Galerie Claude Samuel. Introduction à Max Ernst : Paintings, Sculptures, Works on Paper, pour Runkel-Hue-Williams à Londres. De la peinture coréenne considérée comme exercice d’école d’une peinture mondiale : Yim Sétaik et Kang Myong-hi, introduction au catalogue Yim Setaik and Kang Myonghi, de la Galerie de Séoul à Séoul. Publie Fred Deux ou le perpétuel assaut, préface au catalogue Fred Deux : l’oeuvre graphique, des Musées de Marseille. Pour une nouvelle lecture des gestes et des mots de Henri Michaux, préface au catalogue Henri Michaux, 1899-1984 du Centre genevois de gravure contemporaine.

1990

Enquête « Portrait de l’artiste fin de siècle » d’Alain Jouffroy et Yves Hélias, publiée dans Le Monde diplomatique. Présente l’exposition Jacques Monory : Sade Révolution Impossible ( Fabbri Editori, Milan). En mars, se rend au Yémen, à Aden en vue d’un colloque Rimbaud aux côtés de Serge Sautreau, Bernard Noël, Charles Dobzynski, Alain Borer, et sur les traces de la maison d’Arthur Rimbaud. Préface le catalogue Gérard Thalmann : peintures 1988-1990 de la Galerie Pascal Gabert, puis le travail d’Anthony Freestone pour le catalogue Jeune peinture 90 : 41è salon du Salon de la Jeune Peinture.

1991

Publie aux éditions du Rocher Arthur Rimbaud et la liberté libre et Arthur Rimbaud, « Je suis ici dans les Gallas ». Moments extrêmes (poèmes, éd. de la Différence (Paris). Conférences sur l’œuvre-vie de Rimbaud à La Havane et à Sendaï (Japon). Son texte « Pour une modernité clandestine », publié dans le n° 123 d’Opus international, « André Breton et le surréalisme international » fait mouche auprès d’une jeune génération de poètes. La Mise en espace de Daniel Pommereulle, 36 questions à Daniel Pommereulle autour de Duchamp : entretien pour le catalogue Daniel Pommereulle : l’utopie des voyageurs, du Musée des Beaux-Arts de Dole.

1992

Voyage collectif au Yémen avec une majorité des membres du Club. Per Baruchello paraît en Italie aux éditions Essigi. Christian Bouillé illustre ses Dix poèmes facilement écrits (éd. La Chouette Diurne). Christian Lhopital illustre Un pont au-dessus de tous les crimes. Préface le catalogue L’invention de Marc Ferroud - Galerie Pascal Gabert, Paris. Le Coeur et la main : Jacques Grué préface aux Collages de Jacques Grué, pour la Galerie Claude Samuel. Du roman antipolicier, de la narration picturale pour le catalogue Bruno Mathon : un cri m’éveille, de la Maison populaire de Montreuil. Germaine Richier, l’ouragane retrouvée pour le catalogue Hommage à Germaine Richier de la Galerie Hodermatt-Ph Cazeau. Co-anime le collectif Poieien avec Pierre Vandrepote, Alain Roussel, Bruno Mathon, Michel Guet.

1993

Publie sa grande monographie sur Gérard Schlosser aux éditions Frédéric Loeb. Publie sa monographie Peter Klasen aux éditions de la Différence. Le Télémagnétisme de Takis pour le catalogue Takis de la Galerie nationale du Jeu de Paume. Jean Berthet, l’interrompu pour le catalogue Jean Berthet : dessins, peintures, reliefs, du Centre d’art d’Ivry/Seine - Galerie Fernand Léger. Le Triangle d’or : Duchamp-Picabia-Man Ray pour le catalogue Liberté-Humour-Amitié de la Galerie de l’Etoile. Présentation du catalogue de Bruno Mathon : un chien court dans le ciel, pour la Galerie La Forêt.

1994

Publie ses entretiens avec Pierre Klossowski sous le titre Le Secret pouvoir du sens. L’édition bilingue en coréen-français de Corps vus, recueil conjoint de poèmes d’Alain Jouffroy et de Ko-Un est illustrée par Yim Setaik.

Entre 1983 et 1985, par l’intermédiaire de Régis Debray, chargé de mission pour les relations internationales auprès du président Mitterrand, Alain Jouffroy est nommé conseiller culturel à l’ambassade de France au Japon. Découvert lors d’un premier séjour en 1977, le Japon s’offre à lui comme une respiration, pratiquement une seconde jeunesse : « Toute mon histoire commence aujourd’hui ! » (La Treizième lettre, 1986) En 1984, il rencontre à Tokyo sa future femme, Fusako Hasae. Entretemps, il organise deux sommets culturels franco-japonais à Tokyo et à Paris. Au départ de Tokyo, il découvre la Corée du sud et la Chine.

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1977, Tokyo. Alain Jouffroy avec Tetsumi Kudo et Hideo Kaido
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1984. Alain Jouffroy chez lui à Tokyo, avec Fusako Hasae, Ooka Makoto, Germain Viatte et Okabe Aomi, en discussion sur le projet d'exposition Japon des Avant-gardes

Au cours de cette même année 1986, de retour en France avec son épouse et ses deux belles-filles, Anne et Jenny, Alain Jouffroy découvre le Cotentin qui devient pour lui un second foyer après Paris. L’année suivante, il fonde à Paris Le Club, cercle de réflexion amical qui fédère des poètes, artistes, philosophes d’une grande diversité de vues et d’opinions parmi lesquels Félix Guattari, Régis Debray, Olivier Le Bars, Serge Sautreau, Antoni Taulé, Philippe Sergeant… L’intérêt de Jouffroy pour l’Orient n’en demeure pas moins vif et se cristallise dans la figure du Rimbaud de la période yéménite dont il interroge la destinée. En compagnie d’Alain Borer, Marc le Bot, Chantal Dragon, Bernard Noël, Chawki Abdelamir, Charles Dobzinsky, Serge Sautreau et divers autres poètes, Jouffroy participe au Colloque Rimbaud qui se tient à Aden du 11 au 18 mars 1990. Au cours de ce séjour, les participants parviennent à localiser dans le quartier de Crater, près d’Aden Camp, l’agence d’export de café Moka où vécut Arthur Rimbaud. L’année suivante, la “maison Rimbaud” est inaugurée au 1er novembre 1991 par les autorités françaises et yéménites. Entre décembre 1991 et janvier 1992, sous la houlette de Jouffroy, le Club voyage collectivement au Yémen. En 1991, le poète publie Rimbaud et la Liberté libre et Arthur Rimbaud « Je suis ici dans les Gallas ». Le film Fragments d’un voyage orienté de Jocelyne Quélo, participante du séjour yéménite, est réalisé et projeté en 1992. Peu après, en juillet de la même année, advient la dissolution du Club. Simultanément, Jouffroy co-anime avec le poète et essayiste Pierre Vandrepote, Alain Roussel, Michel Guet et Bruno Mathon, les cahiers Poiein de l’association éponyme, entendue celle-ci comme communauté sans visage et pressentie comme un équivalent de la “communauté de ceux qui n’ont pas de communauté” selon la formule de Georges Bataille.

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1986. Alain Jouffroy avec Régis Debray et Roberto Matta, chez ce dernier, dans son appartement rue de Lille à Paris

1995-2004

Poésie vécue

1995

Publication remarquée du Manifeste de la poésie vécue aux éditions Gallimard (Paris), et de l’anthologie L’Ouverture de l’être, première mise en perspective de sa trajectoire poétique. Bruno Mathon illustre ses poèmes réunis sous le titre Le silence n’est jamais d’or. (éd. La Nuit A.D.E). Vladimir Veličković illustre L’Enfant des ruines (éd. du Cercle d’or). Le poète Lasse Söderberg traduit en suédois et publie L’Antichambre de la nature aux éditions Ellerströms en Suède. Préface le catalogue de l’exposition « é perdue 914 » d’Olivier Le Bars, présentée à galerie Pascal Gabert (Paris). Prend l’initiative de faire se rencontrer chez lui de jeunes auteurs et poètes ( Malek Abbou, Christophe Béguin, Samuel Dudouit, Pablo Dùran, Renaud Ego). Fonde avec Sarane Alexandrian et Jean-Dominique Rey la revue Supérieur inconnu, en quitte le comité de rédaction après trois numéros.

1996

Publie Victor Brauner. Le tropisme totémique aux éditions Dumerchez (Paris). Publie Marcel Duchamp. Entretiens (éd. Dumerchez) accompagné du cd de l’interview. Son plus vieil ami Jean-Dominique Rey retrouve et publie aux éditions Luvah son poème du début des années 1950 : La Fracassante échappée. Expose à Genève ses premiers collages à la galerie Andata Ritorno de Joseph Farine. Préface le catalogue « Jacques Grué passeur du temps » de la galerie Claude Samuel (Paris). Séjour à Saint-Domingue à l’invitation de l’ambassade de France. Publication : Alain Jouffroy-Silvano Lora : una amistad franco-dominicana : El pensamiento visual, El poema-objeto, La vida-obra. La Vision vue : Jean Criton, préface pour le catalogue “Criton : la vision vue” de la Galerie Hélène de Roquefeuil.

1997

Christian Bouillé illustre son recueil Odieux les dieux, joyeux les yeux aux éditions Les petits classiques du grand pirate (Aubervilliers). Publie un roman à clés : Dernière recherche de l’âme, demain aux éditions du Rocher (Paris). Grâce aux bons soins de Philippe Sollers, les éditions Gallimard réimpriment De l’individualisme-révolutionnaire. Développe et affermit le concept d’Externet surgi dans le cours d’une conversation improvisée avec le peintre Gérard Thalmann. Jacques Grué : passeur du temps pour le catalogue “Jacques Grué : passage” de la Galerie Claude Samuel

1998

Le monde est un tableau (éd. Jacqueline Chambon) regroupe ses écrits sur l’art parus entre 1979 et 1997. Les éditions Paroles d’Aube publient ses entretiens avec Gianfranco Baruchello, Renaud Ego et Malek Abbou sous le titre “Une petite cuiller dans le bol”. La galerie Claude Samuel à Paris expose ses premiers « Posages ». Publie Pudding illustré par Enrico Baj aux éditions Colophon de Milan. Invite les jeunes poètes des collectifs Aurora et Avant-Post pour une lecture publique à la galerie Claude Samuel (Paris).

1999

Exposition rétrospective Alain Jouffroy Poésie vécue au musée de l’Imprimerie de Lyon conçue par Malek Abbou, catalogue préfacé par Philippe Sollers, Michel Onfray, Pierre Restany, Michel Gué, Malek Abbou, avec une postface de Serge Sautreau. À cette occasion, retrouvailles à Lyon entre Alain Jouffroy et Pierre Restany. Cette même année, Pascal Letellier filme et retranscrit une longue, passionnante, conversation entre Alain Jouffroy et Pierre Restany dans le Cotentin.

2000

Son anthologie de poésie C’est aujourd’hui toujours aux éditions Gallimard (Paris) reçoit le Prix Apollinaire. Le prix Roger Caillois lui est remis pour l’ensemble de son œuvre. Publie “Rimbaud, Napoléon, Cherbourg et l’externet” aux éditions Joca Seria (Nantes), édition suivie de “Objecteurs, artmakers” publiés à la même enseigne. Préface le volume Araki chez Nathan/Photo poche éditions. En mai, le musée des Beaux-Arts de Dôle expose Objecteurs/Artmakers. Jouffroy publie en collaboration avec Enrico Baj le volume illustré “Baj chez Proust. Les Guermantes” (éd. Skira/Seuil (Paris.). Philippe Sollers édite sa “Conspiration” dans L’infini (Gallimard (Paris). Publie à compte d’auteur “Onze portraits poètes” bientôt suivi de “Onze poèmes des onze” aux éditions externet.

2001

“C’est partout ici”, deuxième anthologie poétique.

2002

Publie “Picabia”, monographie illustrée aux éditions Assouline (Paris). Publie “Stanislas Rodanski”, une folie volontaire aux éditions Jean-Michel Place (Paris). Publie “Ode à André Breton” (éd. Aldébaran) illustré de 60 de ses posages. Publie “Rimbaud nouveau. Essais sur l’interlocuteur permanent” avec un avant-propos de Jean-Luc Steinmetz. Fait paraître son “Anthologie de la poésie française à la première personne du singulier” aux éditions du Rocher (Paris). Publie une pièce de théâtre : “Caffé fiorio (Une heure avant l’effondrement de Nietzsche)” aux éditions du Rocher.

2003

“Vies”, troisième anthologie poétique, prolonge la démarche de mise en perspective de ses écrits. Il publie Eric Rondepierre, visionneur, préface à Eric Rondepierre aux éditions Léo Scheer.

2004

Tony Soulié illustre son grand poème “L’Impossible” aux éditions Collection mémoires. Jean-Noël Laszlo illustre “De point en point” publié à Nice.

En 1995, le Manifeste de la poésie vécue publié dans la collection L’Infini de Philippe Sollers, réaffirme un principe de non-séparation entre l’activité poétique et la vie dont Le Roman vécu demeure à ce jour la meilleure illustration. Si le rideau de fer n’est toujours pas levé entre l’individu-révolutionnaire et la société toute révolutionnaire fût-elle, ou bien vouée aux forces de conservation, il n’empêche que la vie peut se faire roman ou poésie, et réciproquement : « Tout homme, c’est vrai, est à lui seul une œuvre d’art. » La poésie vécue qui se confond avec une soif de la vraie vie au sens rimbaldien, est aussi une approche de l’être qui se donne pour premier défi de se tenir à hauteur du réel.

En 1997, Alain Jouffroy créé le néologisme externet. Ce réseau de rencontres inassignables est aussi un concept exprimant la nécessité de sauvegarde, hors des dispositifs numériques, d’un rapport au réel entièrement humain, immédiat et non virtuel. Appelé à conjurer et combattre une future mise en réseau numérique du vivant, il trouve une résonance auprès d’une génération de jeunes poètes et écrivains regroupés autour de la revue Aurora et du mouvement Avant Post. En 1998, l’exposition poésie vécue organisée par Malek Abbou pour le Musée de l’imprimerie de Lyon, récapitule dans sa cohérence intuitive un demi-siècle de la vie poétique molto vivace d’Alain Jouffroy. En 2000, C’est aujourd’hui toujours publié par Gallimard reçoit le prix Guillaume Apollinaire. La même année, le prix Roger Caillois est remis à Alain Jouffroy pour l’ensemble de son œuvre.

2004-2015

Éternelle extravagance

2005

Expose ses posages et collages sous le titre “L’envers de la guerre” à la galerie José Martinez (Lyon). Catalogue du même nom publié aux éditions Fage. Exposition Alain Jouffroy – passeur, héritier et témoin au Centre d’art mobile de Besançon.

2006

Le prix d’Or du meilleur critique d’art lui est décerné par Connaissance des arts. Publie “Manifeste pour Yves Klein” (éd. Virgile).

2007

Edmonde Charles-Roux lui remet le prix Goncourt de Poésie. Publie le remarqué “Trans-Paradis-Express” aux éditions Gallimard (Paris) dont le titre lui fut chuchoté par la romancière Cécile Guilbert. Écrit la préface de la monographie Jean Messagier, en collaboration avec Richard Leydier (éd. Cercle d’Art). Publie son roman “Le livre qui n’existe nulle part” aux éditions de la Différence (Paris). Publie un recueil de poèmes sous le titre “Être-avec” (éd. de la Différence (Paris)

2008

Intérêt renouvelé pour la pensée chinoise, particulièrement celle de Tchouang-Tseu, publie Imaginons ce que nous ne pouvons encore penser dans le n°1 de la revue Possibilities fondée par Pablo Dùran. Publie “À l’ombre des flammes. Dialogues sur la révolte” en collaboration avec Patrice Trigano (éd. de la Différence, Bruxelles). Publication de “XXe siècle, essais sur l’art moderne, suivi de Fantôme de l’art”, préfacé par Malek Abbou aux éditions Fage (Lyon). Réimpression d’”Une Révolution du regard” (Gallimard), édition augmentée.

2009

Conférence à l’Institut français de Valence à l’invitation de Pascal Letellier. Exposition Tranches d’art à la Galerie José Martinez (Lyon), série de collages, préfacée par Malek Abbou. Publie Calder, l’impossible réalisé (éd. Dilecta). 2011 : Les éditions Impeccables de Christophe Béguin rééditent “L’Abolition de l’art” préfacé par Pablo Duràn, et joignent au livre le cd-rom du film éponyme. Enrico Baj illustre cinq de ses poèmes réunis sous le titre de “Pudding” (éd. Collophon). Préface « Échappée belle et dentelle de Thalmann » pour l’exposition « À tire-d’aile » de Gérard Thalmann, Galerie Pascal Gabert.

2013

À qui veut l’entendre, confie que L’Ouverture de l’être et L’Abolition de l’art culminent vers le réel concret qui est la poésie vécue.

2014

Publie ses “Poèmes chinois” aux Presses du vide (Paris) de Pablo Duràn. Écoute longuement Mozart et Vivaldi, papillonne entre les livres, pioche au hasard, boit du Château-Montaigne, rêve beaucoup, relit scrupuleusement Stendhal.

2015

Le centre Pompidou consacre le rôle de passeur d’Alain Jouffroy, ses commissaires Didier Schulmann et Aurélien Bernard lui dédient une salle dans le parcours des collections modernes. En novembre, le poète Samuel Dudouit publie “Alain Jouffroy passe sans porte” (éd. du Littéraire). Le dimanche 20 décembre, Alain Jouffroy s’éteint paisiblement à l’hôpital Saint-Louis à Paris, après deux semaines animées par les visites continues de ses proches et amis qui le soutiennent et le fêtent en lectures de poèmes et musique.

Cette ultime période est celle de la remise en intensité, pour soi-même, de l’idée de poésie vécue dans une tonalité joueuse nouvelle. Composée d’assemblages, posages et collages, la nouvelle activité plastique d’Alain Jouffroy répond à son désir d’expérimenter, articuler, composer, fabriquer au-delà de la page écrite pour agrandir les connexions d’un domaine d’expression à l’autre. Extravagances de la réflexion, jaillissements de l’image, inarchivables rires, Alain Jouffroy art maker se livre à travers des réalisations plastiques où l’humour fait trait d’union avec sa lecture permanente du réel. L’écriture poétique qu’il poursuit quotidiennement n’est pas en reste.

En 2006, le Prix d’Or du meilleur critique d’art lui est attribué par Connaissance des arts. Cette même année, il publie le très remarqué Transparadis express. L’année suivante, le prix Goncourt de poésie 2007 lui est décerné, consacrant toute une vie de poésie ouverte à l’être. Alain Jouffroy décède sereinement en décembre 2015, entouré de ses proches et amis. Quelques jours avant sa disparition, il a le plaisir de compulser l’exemplaire fraîchement sorti de la biographie la plus aboutie ce jour que venait de lui consacrer le poète Samuel Dudouit : “Alain Jouffroy passe sans porte”. Son épitaphe en forme d’encouragement à l’action résume sa trajectoire personnelle : « Il faut vivre ses rêves éveillé ».

Kaléidoscope

« Celui qui agit », Serge Sautreau, postface au catalogue Alain Jouffroy Poésie vécue, Musée de l’Imprimerie de la ville de Lyon, Lyon 1999.

« Alain Jouffroy précurseur absolu de l’esthétique relationnelle », Pierre Restany, Milan, 16–23 janvier 1999, préface au catalogue Alain Jouffroy Poésie vécue, Musée de l’imprimerie de la ville de Lyon, Lyon, 1999.

« Passage Jouffroy », Philippe Sollers, préface au catalogue Alain Jouffroy Poésie vécue, Musée de l’imprimerie de la ville de Lyon, Lyon, 1999.

« Les dés sont jetés », Gérard Fromanger, in L’envers de la guerre, éditions Fage, Lyon, 2004.

« Une voile où le vent souffle », Malek Abbou, in Contr’un n°1. La revue des individus au carré. Paris, octobre 2007.

« Pour Alain », Matthieu Messagier, 2016, poème-hommage inédit.

« La main ouverte d’Alain Jouffroy » Samuel Dudouit, mars 2016.

« Oui » Samuel Dudouit, mai 2016

« Si d’aventure vous passez à 17h05 précises », Olivier Le Bars, in Europe – revue littéraire mensuelle n°1075–1076, Paris, novembre–décembre 2018.

« Alain Jouffroy, poèmes inédits » Renaud Ego in Europe – revue littéraire mensuelle n°1075–1076, Paris, novembre–décembre 2018.

« Les liaisons heureuses, ou Jouffroy en toutes lettres », Cécile Guilbert, in Europe
revue littéraire mensuelle no1075–1076, Paris, novembre–décembre 2018.

« Au 105, rue Notre-Dame-des-Champs », Jean-Christophe Bailly, in Europe – revue littéraire mensuelle n°1075–1076, Paris, novembre–décembre 2018.

« La grâce de l’illégitimité » Christophe Béguin, octobre 2022.

« De l’actualisme à la nouvelle peinture d’histoire, et retour » Pablo Duràn paru dans Lundi matin # 438, 2 août 2024.

Références

Philippe Sergeant, Alain Jouffroy l’instant et les mots, coll. Essais, éditions de la Différence, Paris, 1986.

Alain Jouffroy, Une petite cuiller dans le bol. Entretiens avec Malek Abbou, Gianfranco Baruchello, Renaud Ego, éditions Paroles d’Aube, 1998.

Alain Jouffroy « Poésie vécue », catalogue & collectif d’auteurs (Philippe Sollers, Michel Onfray, Pierre Restany, Michel Guet, Serge Sautreau, Malek Abbou), sous la direction de Malek Abbou, musée de l’Imprimerie de la Ville de Lyon, 1999. 

Samuel Dudouit, Alain Jouffroy passe sans porte, Éditions du littéraire, 2015. 

Roberto Matta, Alain Jouffroy, Correspondance 1952–1960, sous la direction de Marine Nédélec, Christian Demare, Ramuntcho Matta, préface de Bernard Blistène, éditions Arteos/Diane de Polignac, Paris, 2018.

Dominique Drouet-Biot, Alain Jouffroy, un demi-siècle de poésie vécue. Mouvements surréalistes et ostinato lyrique, Classiques Garnier, Paris, 2019.