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1987-1992

La graine, l’idée d’un Club, ce fut Felix Guattari qui l’insuffla dans une lettre adressée à son ami Alain Jouffroy en 1978. C’est finalement quelques années plus tard, dans la deuxième moitié des années 1980, au retour d’Alain Jouffroy du Japon à Paris, que les conditions « climatologiques » permettent à cette graine de Club de germer.

En réaction aux pesanteurs de résignation et d’indifférence qui dominaient alors, souhaitant rompre avec la politique du repli sur soi, Alain Jouffroy parvient à impulser la création du Club, qui se constitue le 9 octobre 1987 à Paris, sous la forme d’un groupe expérimental composé au départ d’une trentaine de femmes et d’hommes, de différentes générations, connus ou inconnus, peintres, sculpteurs, philosophes ou écrivains pour la plupart.
Le nom même du Club est un clin d’œil aux Clubs du XVIIIe siècle, « où l’on savait parler et se parler », et plus particulièrement à ceux de la Révolution française. Instance de réflexion, espace vivant de débat d’idées, le Club se définit comme un groupe de résistance à l’idéologie médiatique. Ses débats sont notamment traversés par l’art, la marchandisation de l’art, et la position des artistes à la fin du XXe siècle. Le Club s’envisage au fil de « son devenir groupe » comme un collectif « qui échappe aux formulations soit exclusivement politiques, soit exclusivement esthétiques » et qui vise à « découvrir des agencements philosophiques et éthiques pour vivre l’histoire au présent ».
En 1988, Alain Jouffroy écrit : « Le premier but de ce Club consiste à pousser, grâce à son propre fonctionnement, chacun de ceux qui le composent, à aller dans sa vie et dans sa tête, plus loin qu’il ne serait allé seul. » Membres actifs, attentifs ou en état d’apesanteur, certaines et certains resteront jusqu’au bout, d’autres ne font que passer, mais chaque individu par sa présence volatile ou durable, par ses prises de parole et de position marquantes ou plus hésitantes alimente les débats, les orientations, la trajectoire et les projets du Club. L’élan vital contenu dans cette graine de Club ne portait-il pas en lui pour message : l’individu est la chance de la collectivité comme la collectivité est la chance de l’individu ?
A l’image des nébuleuses qui changent de forme, de taille et de structure interne au fil du temps, le Club, est animé par un incessant mouvement, inventant et réinventant sa forme, son fonctionnement et sa trajectoire. L’amitié, ainsi qu’une singularité émotionnelle et intellectuelle collective, resteront néanmoins un point fixe. Le Club voit, durant les cinq années de son existence, à travers ses réunions plénières, ses missions exploratoires, ses travaux en commission, ses questionnaires, se profiler et éclore une multitude d’ébauches de projets qui donnent le jour à une inflorescence principale de 5 réalisations :

• Le Moment extrême, Sade Révolution Bara
Une exposition associant l’œuvre de Sade à la Révolution française, prévue au moment du bicentenaire de la Révolution en juillet 1989 au château de Saumane, rassemblant les œuvres conçues spécialement pour le lieu et pour l’occasion par vingt-cinq artistes et membres du Club, dans une optique tout autre qu’une célébration de la Révolution française ou une commémoration de Sade. S’appuyant sur la phrase de Blanchot « l’expérience de la liberté passe toujours par un moment extrême : qui ne le sait pas ne sait rien d’elle », chaque artiste y était appelé à habiter l’espace de la liberté et de la transgression, et à rompre avec ses habitudes.
Par télégramme reçu le 22 juin 1989, alors que les œuvres étaient réalisées et que rien ne le laissait présager, le président du Conseil général du Vaucluse annonce brutalement que les travaux de réfection et d’aménagement du château de Saumane rendent impossible la tenue de l’exposition. A la censure déguisée en prétexte, le Club répond par le tract « Le verrouillage du château de Sade à Saumane face au bicentenaire ». Le catalogue des œuvres Le Moment extrême existera néanmoins et sera présenté à la galerie Claude Samuel le 19 janvier 1990 (ainsi que quelques œuvres rescapées, d’autres ayant été détruites ou abandonnées par leurs auteurs).

• La revue Avec Qui ?
Le numéro 1, et unique numéro, est publié le 31 décembre 1989. Il est l’aboutissement et la synthèse du travail collectif des deux premières années d’existence du Club. Il porte sur le Club lui-même, sa définition idéologique, son fonctionnement, ses dysfonctionnements, son devenir groupe, son expérience positive et négative. Les articles qui le composent sont rédigés par Henri-Alexis Baatsch, Geneviève Clancy, Jacques Grué, Yves Hélias, Alain Jouffroy et Olivier Le Bars qui en est également le concepteur et illustrateur.

• Le questionnaire aux artistes
Dans le contexte de ruée vers l’art et de marchandisation de l’art qu’est celui de la fin des années 1980, Yves Hélias et Alain Jouffroy entreprennent de donner la parole aux artistes. Dans le courant de l’année 1989, ils réalisent un questionnaire sur l’art, et l’envoient à cent cinquante artistes, peintres, sculpteurs, écrivains, dont des membres du Club, avec l’aide du Monde diplomatique. Ce projet est notamment mené dans une perspective d’élargissement du Club visant à enrichir les débats par une multiplicité de points de vue. Cinquante artistes y répondent. Le Monde diplomatique publie en janvier 1990 l’article Portrait idéologique de l’artiste fin de siècle, puis l’intégralité des réponses est publiée dans Les Cahiers du renard n°3, mars-avril 1990.

• Le colloque d’Apt
Il porte pour titre Peut-on encore entretenir la croyance en l’art ?, et a lieu les 24 et 25 février 1990 à Apt dans le Vaucluse. Étant en quelque sorte un prolongement du questionnaire aux artistes, il s’inscrit dans le débat idéologique sur l’art, et intervient dans une perspective d’élargissement du Club (mêlant à la fois des interventions extérieures et des interventions de membres du Club). Les thèmes abordés sont notamment : démocratie et liberté artistique, fin du sens, néolibéralisme, banalisation et cynisme, autonomie de l’art, fonction critique et efficience politique. Les actes du colloque sont publiés en septembre 1990 (Les Éditeurs Évidant, collection Le Dit).

• Le voyage au Yémen
Il a lieu au cours des mois de décembre 1991 et janvier 1992. Il se veut comme une expérience d’un type nouveau, fondée sur une observation collective, un examen des lieux (sous l’angle banalytique notamment), des rencontres, des dialogues avec les écrivains et les artistes Yéménites du Nord et du Sud dans la période historique de réunification du Yémen. L’objectif est de créer un travail d’analyse pour former, en dehors de tout média, une nouvelle image d’un réel en devenir.
Une présentation des résultats de ce voyage est réalisée à la Maison du Yémen à Paris au printemps 1992.
Quelques photos du voyage au Yémen sont visibles sur le site Christine Maillet.

L’aventure du Club prend fin en juillet 1992. Plante féconde, le Club transmettra quelques-uns de ses fruits à de jeunes écrivains, réunis autour des revues Aurora et Avant-Post.